L’impact de la perruche sur les autres oiseaux face aux ressources alimentaires en hiver vient d’être évalué pour la première fois à grande échelle. Des résultats optimistes rendus possibles grâce aux joueurs de BirdLab.
« Envahissant », « problématique », clament les uns ; « bio-xénophobie » répliquent les autres. L’objet de la discorde ? Un oiseau, la perruche à collier. Originaire d’Asie et d’Afrique du Nord, cette espèce domestique importée en Europe a commencé à se rependre autour des aéroports à partir des années 70. Aujourd’hui elle est présente dans la plupart des grandes métropoles. Il faut dire que son plumage vert vif et son allure de perroquet la font difficilement passer inaperçu dans les parcs urbains où elle niche toute l’année.
La grande question qui anime les scientifiques depuis peu concerne l’impact de cette nouvelle venue sur les écosystèmes et en particulier sur les plus petites espèces d’oiseaux. Certes sa morphologie imposante, son apparente agressivité et son cri aussi aiguë que puissant peut légitimement nous conduire à se poser la question suivante : comment se passe la cohabitation avec les oiseaux dont elle partage le territoire et les ressources alimentaires ? Or, face aux positions tranchées des pro et anti-perruches – opportunément relayées par les médias -, la littérature scientifique reste relativement démunie.
Que dit précisément la science sur le cas perruche ? On relève seulement quelques études sur l’accès aux cavités de nidification. Une publication espagnole[1] a récemment montré que l’augmentation d’une population urbaine de perruches était corrélée à une diminution de celle de Grande noctule (classée Vulnérable par l’IUCN), une chauve-souris qui gîte également dans les arbres. Des attaques directes ont par ailleurs été recensées. Deux autres études[2] témoignent de l’impossibilité des oiseaux dont la période de reproduction est plus tardive à accéder aux meilleurs cavités, lesquelles sont souvent déjà occupées par la perruche, plus précoce.
Jusqu’à présent très peu de travaux se sont penchées sur la compétition pour les ressources alimentaires. Depuis l’intégration de la perruche il y a deux ans dans notre jeu BirdLab, de nombreux participants ont pu signaler sa présence et décrire son comportement sur les mangeoires. Nicolas Deguines, que nous connaissons pour ses travaux sur les données du Spipoll, a ainsi passé plusieurs mois à traquer le drôle de perroquet dans la base du jeu. Il nous livre ici ses résultats inédits. De quoi apaiser les tensions que suscite ce soi-disant oiseau de malheur.
Quelques études pointe la compétition sur l’accès aux cavités de nidification © Frank Vassen (Flickr)
Vigie-Nature : vous avez commencé par isoler toutes les parties de BirdLab où la perruche avait été signalée. Comment se répartie-t-elle sur le territoire français ?
Nicolas Deguines : Sur les 770 paires de mangeoires enregistrées dans le jeu depuis l’hiver 2017/2018, 31 mentionnent la perruche à collier. Ces mangeoires se trouvent surtout dans les agglomérations, mais pas forcément dans des milieux urbains très denses, plutôt dans les zones végétalisées. Ce qui est cohérent quand on sait que l’espèce niche dans les troncs d’arbres des grands parcs.
Sur ces 31 mangeoires vous avez regardé, dans les parties où la perruche avait été enregistrée, la présence des autres petits oiseaux : rouge-gorges, mésanges, pinsons, moineaux etc. Qu’avez-vous observé ?
Notre premier constat est le suivant : en présence de la perruche, le temps cumulé passé sur les mangeoires par toutes ces petites espèces est diminué de 180 secondes en moyenne, sur les 5 minutes que dure une partie. Pour savoir si cet effet est spécifique à la perruche, nous avons regardé ce qui se passe en présence d’autres espèces du même gabarit et au tempérament similaire. Nous avons choisi la Tourterelle turque et la Pie bavarde, observées sur les mangeoires fréquentées par les perruches et sur d’autres présentes dans un rayon de 10km. Résultat, ces deux gros oiseaux produisent un effet semblable sur les petits, mais nettement plus faible.
Après le temps de présence, nous avons regardé la richesse des petites espèces se rendant aux mangeoires en présence de ces trois oiseaux. Et là, c’est l’inverse : la tourterelle en particulier fait clairement diminuer cette richesse, alors que la perruche n’a pas d’impact significatif.
Sur les 770 paires de mangeoires enregistrées dans le jeu depuis l’hiver 2017/2018, 31 mentionnent la perruche à collier © Vigie-Nature
Comment interpréter ces résultats à première vue contradictoires?
En regardant les résultats par espèces de petits passereaux on s’aperçoit que la tourterelle, la pie et la perruche font toutes les trois diminuer la probabilité de présence de certaines espèces comme le rouge-gorge, la mésange charbonnière ou le verdier d’Europe. Mais de manière très spécifique : par exemple la tourterelle fait davantage fuir la mésange charbonnière que la perruche et la pie. Par contre la perruche aura un impact plus fort que les autres sur le rouge-gorge. Seule la mésange bleue semble pâtir tout autant de la perruche, la tourterelle et la pie. Le moineau domestique, lui, bénéficie carrément de la présence de ces trois espèces, et de la tourterelle en particulier. Cet ensemble très complexe de réponses spécifiques équilibre globalement les impacts des trois gros oiseaux.
La perruche n’est donc pas si compétitive que cela sur les mangeoires…
Si ces résultats sont encore à affiner avec plus de données, ils montrent que les petites espèces sont certes en concurrence avec la perruche, mais ni plus ni moins qu’avec d’autres oiseaux du même gabarit.
Encore une fois les interactions sont très complexes. A partir de pièges photos sur deux mangeoires placées sur le campus d’Orsay, notre collègue Carmen Bessa-Gomes a pu constater que lorsque les mésanges charbonnières et bleues quittent une mangeoire au moment où arrive la perruche, la mésange bleue est la première à revenir vers les graines. Elle s’octroie ainsi un peu de temps pour manger sans être concurrencée par la charbonnière dont on sait qu’elle peut se montrer agressive. Ces constatations attendent d’être confirmées statistiquement, mais il est tout à fait possible que certaines espèces profitent finalement, même indirectement, de la présence des perruches.
Au-delà de ces résultats rassurants, les travaux d’Assaf Shwartz montrent que le succès reproducteur des perruches est diminué en Europe du fait des températures plus froides que dans son aire d’origine[3]. Il faut évidemment poursuivre le travail, d’autant que le changement climatique pourrait, à termes, leur être bénéfique. Mais nous sommes pour l’instant loin d’un « fléau européen » récemment décrit dans la presse internationale[4].
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Article issu du blog de Vigie-Nature
[1] https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsos.172477
[2] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0006320709001037, et https://zslpublications.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/acv.12334
[3] https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1472–4642.2008.00538.x